Construire un lieu éphémère comme aboutissement d’une recherche en acte. Entamé en 2011, le cycle de création intitulé Pour une thèse vivante, mettait la recherche à l’épreuve du plateau et du savoir-faire des corps, en réunissant artistes, artisans et intellectuels. Un CCN en terre et en paille en est l’aboutissement, un « objet-architecture-lieu » comme un manifeste qui nomme la place de sa propre pratique et initie l’idée d’une autonomie à construire. En interrogeant en filigrane la possibilité même de transmettre une pratique, Claudia TRIOZZI joue ainsi sur les présupposés du spectacle vivant. Dans la lignée du développement des thèses artistiques, Un CCN en terre et en paille confronte les matériaux et révèle la pensée.
Un CCN en terre et en paille est le second et dernier manifeste de Pour une thèse vivante : construire un lieu éphémère pour une recherche en acte. Pour ce faire, j’ai organisé trois espaces.
Un CCN en terre et en paille, manifeste qui pose la question de l’expérimentation par le faire se réalise dans un espace pensé comme une scène ouverte où le public assiste et participe à son évolution. Une autre manière de penser le bâtir. Le groupe de travail de construction est composé d’étudiants issus d’écoles d’art et d’architecture, d’artistes, et de praticiens de l’architecture en terre et paille, afin de mettre en commun les différentes pratiques et regards sur cette expérience.
Chantier participatif
Un espace de la mémoire des archives qui ouvre la question de la place de l’apprentissage : en partant de ma propre expérience, des photos d’archives du CND nous montrent la place du cours de danse là ou nous apprenons à danser, la place de l’usine avec quelques archives des Usines de Flers ; en ouvrant une invitation à trois films de l’artiste et vidéaste Carole Roussopoulos ; et en réactivant des photographies de la pièces Stand que j’ai créé en 2004. Ceci pour dire les trois modes de représentation que j’ai pratiqués, avec lesquels je me suis construite et qui répondent aussi à un souci pédagogique de transmission que la mise en correspondance des trois espaces du vivant matérialise.
La pièce construction questionne les matériaux, le corps et les outils. Elle propose la réactivation d’une pratique du bâtir en terre et en paille, autant qu’elle redonne vie à un nouveau manifeste qui dit la place de la pratique par le faire. Elle convoque par son aspect de chantier participatif un groupe de jeunes architectes, d’artistes, d’étudiants en architecture et en école d’art, au cours duquel sont venus participer des jeunes publics. Cet «object-architecture-lieu» affirme la volonté de pouvoir être réalisé en tant que lieu de création et d’expérimentation.
Les invités, performances autour de la construction du CCN en terre et en paille. Le mardi 12 novembre 2019 Première temps public de la construction du chantier. Pour cette soirée, était organisée, une rencontre avec Hélène BRESCHAND, harpiste soliste, François STREIFF, architecte spécialiste de la construction en terre, Stéphanette VENDEVILLE, une historienne du théâtre, Sophie WAHNICH, historienne et Claudia TRIOZZI. Suivie de la recréation de KOMPOST une performance de et par Heinz CIBULKA, initialement créée en 1977 au Museo d’Arte Moderna di Bologna, avec la participation de Norbert MATH, compositeur. Le mardi 19 novembre Second temps public de la construction du chantier. Pour cette soirée, était organisée, une rencontre avec avec Pascale LECOQ, directrice de l’école internationale de théâtre Jacques Lecoq, architecte et chercheuse ; Diane SCOTT, critique et psychanalyste et François STREIFF, architecte spécialiste de la construction en terre. La première de la création Claudia regarde la danse de Claudia TRIOZZI : nouvelle création qui constitue une immersion dans la matière en danse à partir d’archives. La reprise de la pièce chorégrahique d’Andy de GROAT : Rope Dance Translation (1974), sous la direction de Martin BARRÉ, interprétée par Clémence LEMARCHAND, Camilo SARASA MOLINA et Martin BARRÉ. Le mardi 26 novembre 2019 Troisième et dernier temps public de la construction du chantier. Pour cette soirée, était organisée, une discussion avec Esther Ferrer, performeuse, et Enzo Minarelli, performeur, chercheur, spécialiste de la poésie sonore, qui a par ailleurs performer autour du CCN. Suivie de la création Claudia regarde la danse de Claudia TRIOZZI : nouvelle création qui constitue une immersion dans la matière en danse à partir d’archives.
Le troisième espace a accueilli la réactivation de Pour une thèse vivante dans son aspect tout à la fois de spectacle et de performance assumant pleinement ma place de femme de la scène, et a permis de reconvoquer les multiples personnalités rencontrées ainsi que de réactiver les interviews réalisées de 2011 à aujourd’hui. Ceci pour réexprimer la complexité et le temps de cette recherche qui tissent des correspondances entre le monde de l’art, celui du travail et le temps de la vie.
Les invités, performances autour de la construction du CCN en terre et en paille. Le samedi 16 novembre 2019 Recréation de l’acte fondateur et manifeste de Pour une thèse vivante. L’épisode I (2011) a été créé en réaction aux Accords de Bologne obligeant les Écoles d’art à établir des partenariats avec des équipes de recherche d’autres établissements d’enseignement supérieur, principalement avec l’Université. Avec Pascal BUFFARD (maître artisan boucher), Arnaud LABELLE-ROJOUX (artiste), Lucien MAZÉ (tailleur de pierre), Claudia TRIOZZI (un personnage), Sophie WAHNICH (historienne et directrice de recherche au CNRS), un âne et une sculpture des frères BASCHET (la tôle à voix). Le samedi 23 novembre 2019 Recréation du second épisode de Pour une thèse vivante, sous-titré Avanti tutta, 30 ans dans un an et tant pis pour ceux qui sont fatigués. Episode crée en 2014, Claudia Triozzi a de nouveau mis sur scène Gianna SERRA, actrice, et Antonio LA MONICA, éthologue, afn de recréer le dialogue sur la vie d’une actrice et d’un vétérinaire passionné de noeuds. Avec Clémence LEMARCHAND (danseuse), Pascal BUFFARD (maître artisan boucher), Antonio LA MONICA (faiseur de noeuds), Arnaud LABELLE-ROJOUX (artiste), Denys LUDBROOK (acteur), Gianna SERRA (actrice), Claudia TRIOZZI (un personnage), un âne et une sculpture des frères BASCHET (la tôle à voix). Le samedi 30 novembre 2019 Recréation d’un troisième épisode de Pour une thèse vivante, à partir de Comparses (2015) et Habiter pour créer (2017). Dans ce nouvel épisode, Claudia TRIOZZI a questionné à nouveau le geste et le savoir-faire, à partir des pratiques d’un maître boucher, d’une sculptrice, d’un artiste, etc… accompagné de la présence presque silencieuse d’un âne et d’une sculpture à voix. Avec Pascal BUFFARD (maître artisan boucher), Michel GUILLET (compositeur), Arnaud LABELLE-ROJOUX (artiste), Anne RENOUVEL-NICOLLE (sculptrice), Claudia TRIOZZI (un personnage), un âne et une sculpture des frères BASCHET (la tôle à voix).
« Initié en 2011, POUR UNE THÈSE VIVANTE est un projet qui, dans mon oeuvre, témoigne d’une part de mes réfexions sur l’idée d’un art en tant qu’artisanat, en somme un ensemble de savoirs déjà établis et d’autre part il est en même temps toujours en mouvement et naît dans l’acte même de ma pratique. Je ne suis pas à distance de ma thèse, c’est la thèse elle-même qui soutient son propos. Je suis la thèse en quelque sorte. Ma pratique scénique est ma thèse. Je ne « disserte » pas sur un sujet de recherche, ma pratique scénique (et j’en suis l’artiste) disserte elle-même de ce qu’elle est. Elle se montre en acte et montre son savoir. Il s’agit d’un processus, toujours en formation, dans lequel je crée, à partir de l’espace de la réfexion et de l’expérience de la danse et des arts plastiques, un dialogue avec différents corps de métiers. À la croisée de l’art, de la science et de l’anthropologie, je m’interroge sur la façon dont un corps peut incarner ou non un savoir, un savoir-faire, la manière dont celui-ci est nécessairement exposé à l’autre, et comment ces gestes peuvent être en lien et formuler la fulgurance d’un sens. Ce projet recouvre un triple questionnement sur ma propre pratique de l’acte de performer, l’histoire de la pratique elle-même et la performance entendue au sens large de tout corps exerçant une activité donnée : au sens où l’on retrouve la question du corps social, du métier. Pour mener à bien cette question très importante de la recherche, je me suis entourée de nombreux intervenants sur le plateau et à travers des entretiens flmés. J’invite des collaborateurs artistiques, des personnes issues de différents champs professionnels et de différents arts et métiers : un boucher, un modèle de cours de dessin, un tailleur de pierres, une actrice du cinéma, un psychanalyste, une historienne d’art ; enfin des personnalités marquantes de l’histoire et de l’actualité de la performance artistique. Chacun s’exerce à son métier, à son propre art. L’art « du faire » et du « savoir-faire » se transmet en faisant et en parlant. Le mot « Art » – au Moyen Age – signifait « savoir faire » et, en même temps, « savoir en parler ». Ainsi cette recherche de la « thèse vivante » se nourrit du questionnement d’autres champs de réflexion (et de création) en conservant toujours cette idée d’« art » en tant qu’« artisanat », un patrimoine de savoirs, toujours conçus et en même temps en mouvement. En particulier les interviews permettent la confrontation immédiate de l’interlocuteur, c’est-à-dire une présence « présente » et une oralité performée et spontanée. C’est une parole organisée qui consent un échange de savoirs, fluide et affranchi des codes de la communication institutionnelle. Le dialogue, l’oralité, l’interview, sont des formes que j’utilise pour « enquêter » sur cette « transmission » des savoirs et des connaissances. Cette thèse vivante est une confrontation, une mise en relation de matériaux qui tente de créer une pensée en direct. Dans les outils du spectacle, cela se passe «là et maintenant», cela veut dire « être dans-mon-métier » qui est d’être sur scène. Ce n’est pas faire démonstration d’un savoir mais l’apercevoir dans un acte de dramaturgie. » — Claudia Triozzi